La semaine dernière, les dirigeants européens se sont réunis à Bruxelles pour un sommet exceptionnel sur l'Ukraine. Parallèlement, Angela Merkel s'est entretenue avec Vladimir Poutine, qui ne relâche pas la pression sur son voisin en crise. Que comprendre de ce dialogue privilégié ? Quel rôle la chancelière peut-elle jouer ?
Entre Vladimir Poutine et Angela Merkel, tout se dit en russe ou en allemand. Un vouvoiement raide reste pourtant de mise entre des adversaires que rapproche une connivence fondée sur le dressage totalitaire qui fut leur lot commun sous l’égide respective de l’URSS et de l’ex-RDA.Merkel a bien conscience de son rôle clef
Au cours de leur dialogue du mercredi 5 mars, Vladimir Poutine s’est risqué à appeler Angela Merkel par son prénom. Et elle s’est résignée à l’imiter. Autre changement notable : plutôt que de se vouvoyer en allemand, comme c’était jusqu’alors le cas, ils s’interpellent à présent dans leur langue respective, histoire de prendre du temps pour réfléchir lorsque, mobilisés pour l’occasion, leurs interprètes traduisent leurs propos. Et de surtout bien saisir les possibles méandres de la pensée de l’autre.
Lorsqu’elle rejoint, dans un angle de son bureau, le pupitre qui supporte le dispositif téléphonique qui lui permet de dialoguer avec Vladimir Poutine, elle ne doute pas une seconde du rôle clef qui est le sien.
La chancelière déteste le bras de fer en cours. Et elle entend bien incarner, aussi longtemps que nécessaire, la prudence et la mesure : oui aux sanctions, mais appliquées, en désespoir de cause, lorsque tous les recours diplomatiques auront été explorés !
Mieux que n’importe quel chef d’Etat occidental actuel, elle s’estime en situation de comprendre et d’amortir les saillies dialectiques et les emballements de la mécanique mentale de son interlocuteur russe. Mais aussi de ressentir à quel point, au-delà des manifestations de puissance rituelle, se retrouve chez lui, prête à jaillir, une extrême explosivité ou susceptibilité slave. Manier l’empathie est son indéniable point fort.
Quand Poutine testait Merkel
Nous sommes évidemment très loin de l’attitude copain / copain qui existait précédemment entre Poutine et l’ancien chancelier Gerhard Schroeder qui tenait son ami Vladimir pour un parfait démocrate. Rien de tel aujourd’hui. Angela Merkel n’assimile pas son interlocuteur à un pur dictateur. Mais elle n’a pas oublié qu’ancien champion de sambo, une variété de lutte russe, son vis-à-vis n’avait pas hésité, en 2007, à la tester pour mieux la jauger.
Sachant pertinemment qu’elle avait une peur bleue des chiens depuis qu’un Rottweiler l’avait mordue dans son enfance, Poutine lui avait imposée la présence de Koni, sa chienne labrador favorite, lors de l’une de leurs toutes premières rencontres, Angela Merkel, le visage de pierre, s’était figée sur place, Mais sans reculer ou exprimer le moindre signe de panique.
Depuis, le Russe, qui sait visiblement qui est qui, n’a jamais plus tenté de la soumettre à une épreuve comparable. Sans pour autant renoncer à manipuler son monde.
Merkel perçoit Poutine comme un grand blessé
Tout indique qu’Angela Merkel perçoit Vladimir Poutine comme un grand blessé qu’aurait ravagé son extravagante success story. Ce grand résilient, croit-elle, a vécu la dissolution de l’Union soviétique comme la pire catastrophe géopolitique du XXe siècle. L’agent secret apparatchik qu’il a été s’est alors métamorphosé en un patriote russe orthodoxe que la déliquescence de Matouchka russia a profondément mortifié.
Dans le livre d’images patriotiques de Poutine, nul doute que celles qui évoquent le rattachement de la Crimée à l’empire russe aient été pour lui des icônes. Et il ne peut ignorer que c’est une princesse allemande, bientôt vénérée comme la Grande Catherine II, qui, aidée par son impétueux amant de chair et de folie Grigori Potemkine, consacrera en 1783, "à partir de maintenant et pour tous les temps", l’appartenance de la Crimée à l’empire russe.
Une convergence d’intérêt entre Berlin et Moscou
Ne nous y trompons pas. Ces agitations et "artabaneries" de surface à propos de l’Ukraine soulignent la propagation inexorable, depuis les retrouvailles de l’Allemagne avec elle-même, d’une onde de choc autrement significative. Celle-ci s’inscrit en droite ligne dans le prolongement d’une prédiction d’Alexandre Kojève, ce drôle de Russe qui, après 1945, enseignait la dialectique du maître et de l’esclave de Hegel à ses étudiants parisiens. Ne prédisait-il pas que l’Allemagne, redevenue démocratique et pacifique, retrouverait tôt ou tard un potentiel économique tel que la France en serait refoulée au rang de "puissance secondaire au sein de l’Europe continentale" ?
Comment nier que cette convergence d’intérêt entre Berlin et Moscou progresse, insensiblement, sous le regard d’une administration américaine de moins en moins discrètement isolationniste ? Accompagnée, côté russe où survie la tentation du recours archaïque à la pédagogie du knout, d’un regain d’impudence.
Poutine se veut la réincarnation d’un despote éclairé
Au final, Vladimir Poutine n’en est pas moins sur la défensive. Tout l’angoisse : la contrainte financière qui l’oblige à dilapider ses réserves de pétrole et de gaz, une créativité industrielle et scientifique anémiée, les ravages d’une dénatalité endémique facteur d’un vieillissement auquel s’ajoute une morbidité qu’explique un alcoolisme atavique. Comment, dans de telles conditions, imaginer que, dans un meilleur des mondes tripolaire, la Russie retrouve son rang aux côtés de la Chine et de l’Amérique ?
Comme nombre de ses prédécesseurs, Poutine entend garder fenêtres ouvertes sur l’Occident, tout en sauvant son empire de ce que les grands tsars du passé appelaient la "barbarie asiatique".
Dans l’immédiat, en fervent germanophile, Poutine se veut la réincarnation d’un despote éclairé à la Pierre le Grand. Et rien n’interdit de penser qu’il puisse, au titre de ce dédoublement, secrètement vénérer en Angela Merkel l’avatar d’une Catherine II fantasmatique.
Pendant que Poutine fait feu il y a ceux qui sont brûlés alors oui c'est un'est pas qu'un grand blessé! Il a fait du tord à plusieurs personnes.Et Merkel devrait le savoir.
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