"Le poids des mots, la force des idées..."

SOMMAIRE...

mardi 25 février 2014

Travailleurs détachés a sein de l'Europe : "La loi risque de manquer son but"

Les députés votent ce mardi une loi pour encadrer le recours aux travailleurs détachés au sein l'Union européenne. Un texte positif, mais qui choisit de sévir plutôt que de prévenir les abus. d
Dumping social, travail "low cost", concurrence déloyale... La responsabilité des donneurs d'ordre pour l'emploi et les conditions de travail des salariés européens détachés sera au centre des débats. Si ce texte prévoit des sanctions contre les contrevenants, il ne dit pas un mot sur les mesures à prendre pour éviter ces dérives. 
En construisant son marché commun, l'Union européenne a autorisé l'ensemble des travailleurs européens à travailler librement en son sein. Elle a encadré dès 1996 les règles du jeu avec un ensemble de directives relatives aux conditions de travail d'un travailleur détaché dans un autre Etat membre. 
L'arrivée de main-d'oeuvre de nouveaux membres (41% des salariés détachés) tels que la Roumanie et la Bulgarie s'est accompagnée de pratiques abusives, avec du dumping social pour remporter des marchés. Ce problème touche les secteur du bâtiment et de l'agriculture, où le nombre de salariés détachés a grimpé de 1000% entre 2004 et 2011. 

En France, le nombre de travailleurs détachés déclarés est passé de 26 466 en 2004 à près de 210 000 en 2013. Le chiffre a progressé de 30% en 2013 par rapport à 2012, et serait "plus proche de 350 000 en comptant les non-déclarés". Ce qui ouvre grand la porte aux abus en termes de conditions de travail, salaires, logement, etc. 

Les disparités des systèmes sociaux et de la fiscalité sont utilisées comme variables d'ajustement par les entreprises pour décrocher les marchés. Cette situation appelait la mise en place de nouvelles règles. La proposition de loi vise à renforcer la responsabilité des maîtres d'ouvrage et des donneurs d'ordre en instaurant le principe de responsabilité solidaire, qui permettra de les poursuivre les fraudes relevant d'un sous-traitant. 

Il propose "l'instauration d'une solidarité financière en cas de défaut de paiement des salaires ou de paiement des salaires inférieurs au salaire minimum légal ou conventionnel", avec "la mise en place d'une 'liste noire' d'entreprises et de prestataires de main-d'oeuvre ayant été condamnés pour travail illégal" à une amende de plus de 45 000 euros. Par ailleurs, il veut donner la possibilité aux associations et aux syndicats "de se constituer partie civile y compris en l'absence d'accord du salarié" détaché lésé, et faciliter l'action des services de contrôle. 
L'employeur pourra échapper à toute condamnation pénale.

Mais ces mesures, bien qu'elles aillent dans le bon sens, ne répondent pas vraiment aux problèmes posés par la mobilité des salariés européens dans l'UE. D'abord, les salariés détachés ne sont concernés qu'indirectement par la proposition de loi. Et comme souvent, responsabiliser les donneurs d'ordre ou maîtres d'ouvrage sans protection renforcée des droits des travailleurs revient avant tout à les pénaliser.

En effet, l'employeur pourra échapper à toute condamnation pénale grâce aux systèmes bien connus de "coquille vide" ou de "boîtes aux lettres", ou encore du fait des difficultés de communication entre les institutions judiciaires des pays de l'UE. Les entreprises et prestataires de main-d'oeuvre pourront s'organiser en une cascade de sous-traitants dont l'ampleur des activités ne risque pas de les faire condamner à des amendes de plus de 45 000 euros, et donc de figurer sur la "liste noire". 

Le texte prévoit par ailleurs "d'engager la responsabilité pénale" du maître de l'ouvrage ou du donneur d'ordre "lorsqu'ils poursuivent en connaissance de cause pendant plus d'un mois l'exécution d'un contrat passé avec une entreprise en situation irrégulière au regard de ses obligations sociales". Cette clause pourrait se retourner contre le travailleur, qui sera renvoyé dans son pays à la moindre alerte. De plus, elle laisse la porte ouverte à une impunité des entreprises pendant un mois, impunité qui n'est pas accordée aux entreprises françaises. 
Les travailleurs détachés, faute de parler français ou par crainte d'être licenciés, ont peu de chances d'interpeller les syndicats. S'il y en a dans les entreprises concernées... D'autre part, les contrôles porteront sur le salaire versé en France. Mais s'il est conforme au contrat, rien ne dit qu'il correspond à des horaires effectués sans heures supplémentaires non payées. Il restera enfin difficile de contrôler le versement des cotisations sociales que l'employeur est tenu de faire dans le pays d'origine du travailleur. 

Le renforcement de la "responsabilité des maîtres d'ouvrage et des donneurs d'ordre dans le cadre de la sous-traitance" ne peut passer uniquement par des contrôles aléatoires et des sanctions éventuelles. De nombreux marchés publics et privés favorisent encore le prix comme critère prépondérant dans la sélection des entreprises, sans valoriser d'autres engagements en matière sociale, de sécurité ou de respect de l'environnement. De telles pratiques ouvrent la porte au dumping social et à la concurrence déloyale. 

Pour être réellement efficace et suivie d'effets, la prise de responsabilité du donneur d'ordre public ou privé doit intervenir dès la conception de l'appel d'offres, avec d'une part l'utilisation de critères favorisant les engagements sociaux des candidats, par exemple, et d'autre part, l'exigence, au stade de la remise des offres, de présenter tous les détails et les coûts liés à la sous-traitance en cascade. 

Une grille de coûts détaillée permet à chaque fournisseur de répondre sur une même base, en intégrant les mêmes lignes d'information, comme le nom de chaque maillon de la sous-traitance y compris les agences d'intérim, les heures de travail, le personnel nécessaire, les conditions de logements proposées... 
La transparence renforcerait ainsi une meilleure responsabilité sociale des candidats. Le donneur d'ordre pourrait aussi exiger que l'entreprise fournisse, tout au long du marché, un rapport mensuel sur les conditions d'hébergement en France des éventuels sous-traitants et de leur personnel. 

En France, l'employeur doit payer au travailleur détaché le salaire légal, son transport et les frais liés à l'agence d'intérim. Aussi, si le coût de cette main-d'oeuvre est très inférieur à celui des salariés français, c'est qu'en bout de chaîne, les droits du travailleur détaché ne sont pas respectés. 
Une fois le contrat signé, le donneur d'ordre devrait encore vérifier le respect des engagements vis-à-vis des travailleurs détachés lors de réunions qui se tiendraient en même temps que celles sur la qualité et les délais, qui ont toujours un impact sur le temps de travail, la santé et la sécurité, en y associant autant que possible les représentants du personnel et les syndicats. 
La proposition de loi aurait pu prévoir également la vérification des contrats du pays d'origine des travailleurs, avec les salariés, et déterminer les informations qu'ils doivent mentionner, dans la langue du travailleur détaché et en français: nombre d'heures maximum, heures supplémentaires, taux horaire, prise en charge du transport, frais liés au logement, à la nourriture, contacts en cas de conflit au travail, etc. 
Ainsi, les salariés détachés pourraient décider de migrer en connaissance de cause, ce qui éviterait les abus des agences de placement pouvant conduire à des situations de travail forcé. Or le texte discuté au Parlement est muet sur ces questions. 
Une première étape vers une directive européenne 
Ainsi, la proposition de loi de Bruno Le Roux, malgré ses bonnes intentions, risque fort de rater son but: elle pourrait être facilement contournée par les donneurs d'ordre et maîtres d'ouvrage qu'elle prétend viser. 
L'intention de départ du gouvernement et du groupe socialiste de l'Assemblée nationale était bonne, dans la mesure où les travailleurs européens détachés apparaissent imparfaitement protégés par les principes fondamentaux du droit du travail, au sens de l'article L.1262-4. Mais il faudra aller plus loin si l'on veut définitivement régler la question des travailleurs détachés. 
Déjà, sur l'impulsion de la France, la Commission européenne envisage de proposer à l'adoption du Parlement une nouvelle directive communautaire pour harmoniser les règles du jeu social et du détachement au sein de l'Union. 
Ce sujet de mise en oeuvre de contrôles et de sanctions pour concurrence sociale déloyale soulève en effet un autre problème inhérent à la construction européenne et à la libre circulation des travailleurs au sein des frontières européennes: l'harmonisation des règles du jeu, que l'on parle ici du jeu social, fiscal ou encore juridique, devient une nécessité première! 
Le marché commun ne peut se contenter d'une monnaie unique et d'un drapeau accompagné de directives communautaires: il doit se diriger à grande vitesse vers une harmonisation des règles globales applicables aux activités au sein de l'Union, afin que tous les opérateurs économiques européens de Porto jusqu'à Varsovie puissent jouer à jeu égal. 
Les députés votent ce mardi une loi pour encadrer le recours aux travailleurs détachés dans l'Union européenne. Un texte positif, mais qui choisit de sévir plutôt que de prévenir les abus dès les appels d'offre, regrette RH sans frontières. 
En savoir plus sur http://www.lexpress.fr/actualite/salaries-detaches-et-responsabilite-des-donneurs-d-ordre-sevir-ou-prevenir_1494922.html#I6fwcikiMTCDWpwU.99

Avertissement aux lecteurs et lectrices

Les propos racistes, fascistes, sexistes ou homophobes, et d'une manière générale tous les propos injurieux et/ou diffamatoires seront sytématiquement supprimés sans préavis et leurs auteurs seront bannis du forum. Merci.

Enregistrer un commentaire

 
Copyright © 2013 AfriquEurope
Design by FBTemplates | BTT