Les députés votent ce mardi une loi pour encadrer le recours aux
travailleurs détachés au sein l'Union européenne. Un texte positif, mais qui
choisit de sévir plutôt que de prévenir les abus. d
Dumping social, travail "low cost",
concurrence déloyale... La responsabilité des donneurs d'ordre pour l'emploi
et les conditions de travail des salariés européens
détachés sera au centre des débats. Si ce texte prévoit des sanctions contre
les contrevenants, il ne dit pas un mot sur les mesures à prendre pour éviter
ces dérives.
En construisant son marché commun, l'Union européenne
a autorisé l'ensemble des travailleurs européens à travailler librement en son
sein. Elle a encadré dès 1996 les règles du jeu avec un
ensemble de directives relatives aux conditions de travail d'un travailleur détaché
dans un autre Etat membre.
L'arrivée de main-d'oeuvre de nouveaux membres (41%
des salariés détachés) tels que la Roumanie et la Bulgarie s'est accompagnée de
pratiques abusives, avec du dumping social pour remporter
des marchés. Ce problème touche les secteur du bâtiment et de l'agriculture, où le
nombre de salariés détachés a grimpé de 1000% entre 2004 et 2011.
En France, le nombre de travailleurs détachés déclarés
est passé de 26 466 en 2004 à près de 210 000 en 2013. Le chiffre a progressé
de 30% en 2013 par rapport à 2012, et serait "plus proche de
350 000 en comptant les non-déclarés". Ce qui ouvre grand la porte aux
abus en termes de conditions de travail, salaires, logement, etc.
Les disparités des systèmes sociaux et de la fiscalité
sont utilisées comme variables d'ajustement par les entreprises pour
décrocher les marchés. Cette situation appelait la mise en place de nouvelles
règles. La proposition de loi vise à renforcer la responsabilité
des maîtres d'ouvrage et des donneurs d'ordre en instaurant le principe de
responsabilité solidaire, qui permettra de les poursuivre les fraudes
relevant d'un sous-traitant.
Il propose "l'instauration d'une solidarité
financière en cas de défaut de paiement des salaires ou de paiement des
salaires inférieurs au salaire minimum légal ou conventionnel", avec
"la mise en place d'une 'liste noire' d'entreprises et de prestataires de
main-d'oeuvre ayant été condamnés pour travail illégal" à une amende de
plus de 45 000 euros. Par ailleurs, il veut donner la possibilité aux
associations et aux syndicats "de se constituer partie civile y compris en
l'absence d'accord du salarié" détaché lésé, et faciliter l'action des
services de contrôle.
L'employeur pourra échapper à toute condamnation
pénale.
Mais ces mesures, bien qu'elles aillent dans le bon
sens, ne répondent pas vraiment aux problèmes posés par la mobilité des
salariés européens dans l'UE. D'abord, les salariés détachés ne sont concernés
qu'indirectement par la proposition de loi. Et comme souvent, responsabiliser les donneurs d'ordre ou maîtres d'ouvrage sans protection
renforcée des droits des travailleurs revient avant tout à les pénaliser.
En effet, l'employeur pourra échapper à toute
condamnation pénale grâce aux systèmes bien connus de "coquille vide"
ou de "boîtes aux lettres", ou encore du fait des difficultés de
communication entre les institutions judiciaires des pays de l'UE. Les
entreprises et prestataires de main-d'oeuvre pourront s'organiser en une
cascade de sous-traitants dont l'ampleur des activités ne risque pas de les
faire condamner à des amendes de plus de 45 000 euros, et donc de figurer sur
la "liste noire".
Le texte prévoit par ailleurs "d'engager la
responsabilité pénale" du maître de l'ouvrage ou du donneur d'ordre
"lorsqu'ils poursuivent en connaissance de cause pendant plus d'un mois
l'exécution d'un contrat passé avec une entreprise en situation irrégulière au
regard de ses obligations sociales". Cette clause pourrait se retourner
contre le travailleur, qui sera renvoyé dans son pays à la moindre alerte. De
plus, elle laisse la porte ouverte à une impunité des entreprises pendant un
mois, impunité qui n'est pas accordée aux entreprises françaises.
Les travailleurs détachés, faute de parler français ou
par crainte d'être licenciés, ont peu de chances d'interpeller les syndicats.
S'il y en a dans les entreprises concernées... D'autre part, les contrôles
porteront sur le salaire versé en France. Mais s'il est conforme au contrat,
rien ne dit qu'il correspond à des horaires effectués sans heures
supplémentaires non payées. Il restera enfin difficile de contrôler le
versement des cotisations sociales que l'employeur est tenu de faire dans le
pays d'origine du travailleur.
Le renforcement de la "responsabilité des maîtres
d'ouvrage et des donneurs d'ordre dans le cadre de la sous-traitance" ne
peut passer uniquement par des contrôles aléatoires et des sanctions
éventuelles. De nombreux marchés publics et privés favorisent encore le prix
comme critère prépondérant dans la sélection des entreprises, sans valoriser
d'autres engagements en matière sociale,
de sécurité ou de respect de l'environnement. De telles pratiques ouvrent la
porte au dumping social et à la concurrence déloyale.
Pour être réellement efficace et suivie d'effets, la
prise de responsabilité du donneur d'ordre public ou privé doit intervenir dès
la conception de l'appel d'offres, avec d'une part l'utilisation de critères
favorisant les engagements sociaux des candidats, par exemple, et d'autre part,
l'exigence, au stade de la remise des offres, de présenter tous les détails et
les coûts liés à la sous-traitance en cascade.
Une grille de coûts détaillée permet à chaque
fournisseur de répondre sur une même base, en intégrant les mêmes lignes
d'information, comme le nom de chaque maillon de la sous-traitance y compris les agences d'intérim, les
heures de travail, le personnel nécessaire, les conditions de logements
proposées...
La transparence renforcerait ainsi une meilleure
responsabilité sociale des candidats. Le donneur d'ordre pourrait aussi exiger
que l'entreprise fournisse, tout au long du marché, un rapport mensuel sur les
conditions d'hébergement en France des éventuels sous-traitants et de leur
personnel.
En France, l'employeur doit payer au travailleur
détaché le salaire légal, son transport et les frais liés à l'agence d'intérim.
Aussi, si le coût de cette main-d'oeuvre est très inférieur à celui des
salariés français, c'est qu'en bout de chaîne, les droits du travailleur
détaché ne sont pas respectés.
Une fois le contrat signé, le donneur d'ordre devrait
encore vérifier le respect des engagements vis-à-vis des travailleurs détachés
lors de réunions qui se tiendraient en même temps que celles sur la qualité et
les délais, qui ont toujours un impact sur le temps de travail, la santé et la
sécurité, en y associant autant que possible les représentants du personnel et
les syndicats.
La proposition de loi aurait pu prévoir également la
vérification des contrats du pays d'origine des travailleurs, avec les
salariés, et déterminer les informations qu'ils doivent mentionner, dans la
langue du travailleur détaché et en français: nombre d'heures maximum, heures
supplémentaires, taux horaire, prise en charge du transport, frais liés au
logement, à la nourriture, contacts en cas de conflit au travail, etc.
Ainsi, les salariés détachés pourraient décider de
migrer en connaissance de cause, ce qui éviterait les abus des agences de
placement pouvant conduire à des situations de travail forcé. Or le texte
discuté au Parlement est muet sur ces questions.
Une première étape vers une directive européenne
Ainsi, la proposition de loi de Bruno Le Roux, malgré
ses bonnes intentions, risque fort de rater son but: elle pourrait être
facilement contournée par les donneurs d'ordre et maîtres d'ouvrage qu'elle
prétend viser.
L'intention de départ du gouvernement et du groupe
socialiste de l'Assemblée nationale était bonne, dans la mesure où les
travailleurs européens détachés apparaissent imparfaitement protégés par les
principes fondamentaux du droit du travail, au sens de l'article L.1262-4. Mais il
faudra aller plus loin si l'on veut définitivement régler la question des
travailleurs détachés.
Déjà, sur l'impulsion de la France, la Commission
européenne envisage de proposer à l'adoption du Parlement une nouvelle
directive communautaire pour harmoniser les règles du jeu social et du
détachement au sein de l'Union.
Ce sujet de mise en oeuvre de contrôles et de
sanctions pour concurrence sociale déloyale soulève en effet un autre problème
inhérent à la construction européenne et à la libre circulation des
travailleurs au sein des frontières européennes: l'harmonisation des règles du
jeu, que l'on parle ici du jeu social, fiscal ou encore juridique, devient une
nécessité première!
Le marché commun ne peut se contenter d'une monnaie
unique et d'un drapeau accompagné de directives communautaires: il doit se
diriger à grande vitesse vers une harmonisation des règles globales applicables
aux activités au sein de l'Union, afin que tous les opérateurs économiques
européens de Porto jusqu'à Varsovie puissent jouer à jeu égal.
Les
députés votent ce mardi une loi pour encadrer le recours aux
travailleurs détachés dans l'Union européenne. Un texte positif, mais
qui choisit de sévir plutôt que de prévenir les abus dès les appels
d'offre, regrette RH sans frontières.
En savoir plus sur http://www.lexpress.fr/actualite/salaries-detaches-et-responsabilite-des-donneurs-d-ordre-sevir-ou-prevenir_1494922.html#I6fwcikiMTCDWpwU.99
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