Ainsi, ils fuient le Darfour, une région de l’ouest du Soudan meurtrie depuis une décennie par une guerre contre les forces  de Khartoum. Mais nombre de ces migrants déchantent très vite.  D'aucuns lavent le sol le sol des cuisines du Club Méditerranée de la station balnéaire israélienne, de jour comme de nuit, pour un salaire de 5 000 shekels (un peu moins de 1 000 euros, le salaire minimum en Israël)/ D'autres s'entassent comme des sardines dans un deux-pièces et envoient  de l’argent leur famille restée au Darfour.
Ils sont près de 10 000 migrants, venus à pied d’Egypte, fuyant le Soudan pour la plupart, l’Erythrée pour certains, à s’être installés dans la station touristique d’Eilat, de l’autre côté de la frontière égyptienne. 10 000 sur une population de 60 000 habitants 
Mais tous n'arrivent pas à pied. Certains ont payé des passeurs bédouins pour traverser clandestinement la frontière entre l’Egypte et Israël, une ligne longue de plus de 200 kilomètres qui court en plein désert du Sinaï.
Ceux qui ne sont pas logés dans les dépendances des hôtels où ils travaillent, s’entassent dans des studios qu’ils louent à plusieurs dans les vieux quartiers, les plus défavorisés, de la ville, où ils reconstituent un petit coin du Soudan. Dans les appartements en état de délabrement avancé, prévu pour quatre personnes, s'entassent parfois plus de dix soudanais dans des conditions de vie précaires.
Des drapeaux rouges comme symboles du danger qui rôde
Dans ces immeubles délabrés baptisés "sing sing" du nom des fameuses prisons américaines, sortes de bâtisses bétonnées à la façade jaunâtre, les allées et venues de migrants africains sont incessantes. La municipalité a balisé les rues du centre-ville de ces drapeaux rouges que l’on trouve sur les plages, symboles de danger. Une décision du maire qui accuse ces étrangers venus d’un pays hostile à Israël d’être une menace. Toute chose qui peut ouvrir la voie à un nombre fantasmé d’envahisseurs africains.
«Au début, en 2006, ils étaient bien accueillis ici, explique un responsable à Eilat des ressources humaines d’Isrotel, une des principales chaînes hôtelières israéliennes. Les hôtels avaient besoin de main-d’œuvre, le gouvernement venait d’annuler l’attribution de permis de travail aux étrangers venus d’Asie qui étaient recrutés pour la plonge, le ménage. Mais maintenant, les Africains sont trop nombreux, tous les emplois ont été pourvus. La ville n’arrive plus à faire face.»«Les habitants d’Eilat ne sont pourtant pas racistes, dit la responsable locale d’Assaf, une organisation israélienne de secours aux demandeurs d’asile. J’aimerais bien voir comment d’autres villes en Europe réagiraient face à un afflux d’étrangers aussi soudain.»
Une absence de politique claire
Une vague qui dépasse les frontières d’Eilat. 35 000 migrants de la Corne de l’Afrique ont rejoint Israël ces quatre dernières années, passant par cette frontière poreuse. Le périple leur semblait plus aisé que la périlleuse traversée de la Méditerranée vers les côtes espagnoles ou italiennes. En apparence seulement, car depuis 2007, au moins 85 d’entre eux ont été tués par des policiers égyptiens alors qu’ils tentaient de passer la frontière avec Israël. Et selon plusieurs ONG, des milliers d’autres sont tombés dans le piège des camps tenus par les passeurs bédouins dans le nord du Sinaï, en territoire égyptien, où ils sont séquestrés jusqu’à ce que leurs familles envoient des rançons pour les faire libérer. Dans un rapport, l’ONG Hotline for Migrant Workers estime ainsi qu’un millier d’entre eux ont été détenus et torturés durant une seule année. Cette même année, l’organisation israélienne Physicians for Human Rights («médecins pour les droits de l’homme) a dirigé 165 Africaines, enceintes après avoir été violées dans le Sinaï, vers des hôpitaux israéliens afin qu’elles puissent avorter.
Malgré ces risques, l’afflux de réfugiés s’accélère, selon les chiffres de la commission parlementaire israélienne chargée des travailleurs étrangers et des réfugiés. 
Confronté pour la première fois à une immigration clandestine de masse, Israël a oscille entre deux exigences :le devoir moral de donner asile à des hommes et des femmes dont l’errance fait résonner les pages noires de l’histoire des Juifs qui sont au fondement même de l’Etat hébreu. Et d’autre part, la volonté de préserver le «caractère juif» de l’Etat dans un contexte de forte progression démographique de la population arabe israélienne. La majorité sont musulmans, ce qui complique leur intégration dans l'état hébreu.
Résultat de cette ambivalence des autorités israéliennes : une absence de politique claire. Etant donné qu’ils viennent d’un pays en guerre, la loi leur accorde une protection collective qui interdit leur refoulement à leur entrée en Israël. Mais leur situation de demandeur d’asile n’est pas examinée au cas par cas, et de fait, rares sont ceux qui obtiennent le statut de réfugié qui leur permettrait de rester ou d’être accueilli dans un autre pays.
200 réfugiés accueillis au kibboutz Eilot
Jusqu’à une date récente, la plupart obtenaient un permis de travail pour une durée de trois à six mois, renouvelable. La tendance du gouvernement israélien est toutefois au durcissement face à cette immigration massive. Le Premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, avait d'ailleurs mis en garde contre une vague des clandestins qui « grossit et menace les emplois des Israéliens » et «modifie le visage de l’Etat ». Il avait laissé entendre que les migrants ne fuyaient pas des persécutions politiques ou ethniques, mais venaient pour des raisons économiques. Des propos en résonance avec des manifestations d’habitants israéliens des quartiers pauvres d’Eilat, mais aussi de Tel-Aviv, où arrive une grande partie des migrants africains. Concrètement, les durées des permis de travail ont été réduites. Un centre d’accueil bâti dans la région d’Eilat pour les futurs migrants clandestins, qui y sont logés et nourris mais n’auront plus le droit de travailler dans le pays. Et Israël a commencé à construire une barrière de sécurité le long de sa frontière avec l’Egypte afin de tenter de bloquer les principales voies de passage des clandestins.
«Il y a, dans l’esprit du public, un amalgame, entretenu par le gouvernement, entre les travailleurs en situation irrégulière et les demandeurs d’asile politique, comme les Soudanais», estime Myriam Darmoni-Charbit, présidente de Hotline for Migrant Workers. Elle reconnaît néanmoins qu’à Eilat, «il y a un vrai problème». Le kibboutz Eilot, à l’entrée de la ville, tente de le résoudre à sa façon. Il héberge près de 200 réfugiés et prend en charge la scolarisation d’une soixantaine d’enfants africains, avec des subventions minimes de la mairie et du gouvernement. Rakefet Gorem, responsable du «camp des Africains», comme l’appellent les kibboutznik, ne ménage pas ses efforts. «Elle est tout pour nous : directrice, maman, assistante sociale, psychologue. On vient même la voir pour nos disputes de couple», plaisante Joseph Wafod, originaire du Sud-Soudan, qui habite au kibboutz depuis deux ans avec sa femme et sa fille.
Rakefet ne donne cependant pas dans l’angélisme : «Les Soudanais, je n’arrête pas de leur répéter qu’ils doivent rentrer chez eux pour reconstruire leur pays. Qu’est-ce qu’ils peuvent espérer en restant ici ? Faire des économies pour s’acheter une télé, un lecteur DVD ? Et je ne parle pas des Erythréens qui ont un pays et qui viennent ici pour chercher du travail.» Près des cabines téléphoniques depuis lesquelles les réfugiés appellent leurs familles, elle a affiché les résultats du référendum consacrant l’indépendance du Sud-Soudan et les horaires de la prochaine réunion sur les rapatriements volontaires. Ces derniers mois, Israël a affrété deux charters pour quelque 300 immigrés soudanais, avec leur accord. Mais pour beaucoup d'entre eux, vaut mieux mourir en Israël plutôt que de se faire tuer dans leur pays. Le dilemme est vite tranché.