Entre les restrictions d'accès aux prestations sociales au Royaume-Uni et l'expulsion des sans-ressources en Belgique, le repli nationaliste s'accélère en Europe. Effet de la crise
Depuis la crise économique et l'émergence d'un chômage de masse dans plusieurs pays et notamment la Grèce, l'Espagne, le Portugal et dans une moindre mesure l'Italie, certains États de l'Union Européenne nient les principes de liberté de circulation et d'égalité de traitement entre tous les citoyens européens par limiter l'afflux de ces "pauvres immigrés européens" à la recherche d'emploi. Début février, la Suisse votait un texte limitant l'immigration et instaurant des quotas pour les immigrés européens.Exode redouté de Roumains et Bulgares
Un phénomène renforcé par la levée le 1er janvier 2014 des restrictions concernant la libre circulation des travailleurs roumains et bulgares dans neuf pays, dont la France, l'Allemagne, le Royaume-Uni, le Luxembourg et la Belgique. Dans ce dernier pays, en 2013, 2.712 ressortissants de l'Union Européenne ont été privés de titre de séjour par l'Office des étrangers sous prétexte qu'ils représentaient "une charge déraisonnable pour le système d'aide sociale du royaume" contre 343 en 2010.Si, parmi ces expulsés, figure une majorité de Bulgares et de Roumains, bon nombre d'Espagnols, d'Italiens et... de Français ont également été touchés par la directive. L'an passé, ces derniers ont été 180 à avoir été contraints de faire leurs bagages.
Et en France alors?
Interrogé début février sur le sujet, Manuel Valls, le ministre de l'Intérieur, s'est dit "choqué" par les mots utilisés mais comprend, pour le faire lui même, la politique qui est conduite en Belgique. "Ça fait partie d’une politique qui est menée. J’en parle beaucoup avec mes collègues belges qui sont en charge de ce dossier. J’ai demandé une explication que j’attends, pour mieux comprendre ce phénomène."D'après La Libre Belgique, l'Office Français de l'immigration et de l'intégration (OFII) aurait contraint au départ 23 ressortissants belges pour cause de "charge déraisonnable". Dans le document "Bilan et perspectives de la politique d'immigration'' publié en janvier 2014, le ministère de l'Intérieur indique que 10.793 immigrés ont été renvoyés et réadmis vers l'UE en 2013, contre 3.213 en 2009.
Justifier une "charge déraisonnable"
Pour justifier sa politique, Maggie de Block, la secrétaire d’État belge à l'asile et la migration, à l'intégration sociale et à la lutte contre la pauvreté, s'appuie sur une directive européenne de 2004 qui autorise chaque État membre à mettre un terme au droit de séjour d'un citoyen européen lorsqu'il constitue "une charge déraisonnable" pour le système d’aide sociale du pays qui l’accueille et à le renvoyer dans son pays d’origine.En l'absence de seuil précis, l'office belge des étrangers a statué sur le fait qu'elle renverrait tout ressortissant européen au chômage lorsqu'il a bénéficié de plus de 3 mois d'aides sociales. Un discours populiste assumé qui plaît dans le plat pays. Membre depuis décembre 2011 du gouvernement dirigée par le socialiste Elio di Rupo, la libérale flamande Maggie de Block a vu sa cote de popularité grimper en flèche.
Lutter contre le "tourisme social"
C'est pour séduire son électorat à l'approche des élections générales de 2015 que David Cameron a également annoncé en mars 2013 une série de mesures restreignant l'accès aux aides pour les ressortissants de l'Union Européenne. Il a même cosigné avec ses homologues allemand, autrichien et néerlandais, une lettre à la présidence irlandaise de l'UE appelant à agir contre le "tourisme social". Un terme à la mode pour désigner les personnes qui immigrent dans un autre État membre dans le but de bénéficier d'un système plus généreux de protection sociale.Attirés par le faible chômage en Allemagne
Outre-Rhin, le débat sur l'immigration de ressortissants de l'UE est au cœur de l'actualité. L'office allemand des statistiques Destatis a annoncé un nombre record d'étrangers vivant dans le pays en 2013. Ils étaient 7,6 millions, permettant à l'Allemagne d'afficher un solde migratoire positif de 520.000 personnes. D'après Destatis, 75% des nouveaux arrivants provenaient d'un pays membre en 2013, soit 316.000 citoyens européens (+10%).Attirés par un marché du travail bien meilleur que dans leur pays, les demandeurs d'emploi d'Europe affluent au grand dam des Allemands. Ainsi, s'ils sont une majorité à considérer l'immigration de manière positive pour l'économie, 70% d'entre eux veulent voir quitter le pays aux ressortissants de l'UE qui sont en recherche d'emploi en Allemagne et qui toucheraient insidieusement, selon eux, les prestations Hartz IV. Un discours porté par la CSU, allié d'Angela Merkel, vainqueur aux dernières élections.
A quoi a droit un immigré européen?
La Commission Européenne, alertée par le problème, n'a pas tardé à réagir. Dans un document public daté de novembre 2013, elle a tenu à faire le point sur la législation tout en réaffirmant le principe fondamental de libre circulation des citoyens de l'Union Européenne et d'égalité. Dans les faits, tout citoyen a droit de séjourner dans un pays membre pendant les trois premiers mois.Ensuite, pour bénéficier d'un droit de séjour, il doit justifier d'une assurance maladie complète et de ressources financières suffisantes pour ne pas être à la charge du système de protection sociale du pays d'accueil. Si ce n'est finalement pas le cas (à cause d'une perte d'emploi ou parce que la personne a fraudé), alors le pays d'accueil est dans l'obligation d'analyser la situation de l'immigré afin de décider de lui octroyer ou non des aides. Pour cela, elle observe la durée de séjour, l'âge, l'état de santé, le degré d'intégration, le caractère temporaire de la difficulté ainsi que la durée de cotisation du ressortissant dans le pays d'accueil et les droits acquis dans le pays d'origine.
Principe de stricte égalité de traitement
Car, selon le principe de la stricte égalité, tout ressortissant européen doit avoir droit au système d'assurance sociale du pays d'accueil dès son arrivée. Mais afin d'éviter les abus, les autorités peuvent invoquer des doutes quant à la charge déraisonnable que la personne peut devenir et mettre fin au droit de séjour.Faute d'harmonisation à l'échelle européenne des systèmes de protection sociale, le problème est insoluble car il y aura toujours des immigrés européens gagnants et d'autres perdants et donc une tentation de venir profiter des avantages sociaux d'un pays. De fait, la Cour de Justice européenne a rendu des avis contrastées, désireuse de trouver un équilibre entre le principe d'égalité de traitement et l'équilibre budgétaire des pays mieux-disant socialement.
Ainsi, alors que d'après la Commission Européenne, 56% des Européens estiment que la libre circulation est la réalisation la plus positive de l'UE, la montée du populisme fait craindre le pire pour l'avenir du sentiment d'appartenance à l'Europe. Car ce n'est pas un phénomène à la marge. Plus de 14 millions de citoyens de l'Union résidaient dans un autre État membre fin 2012, soit 2,8% de la population totale.
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