La votation suisse contre l'immigration de masse des européens sur son sol a fait oublier le laps du temps de la vive émotion et du tollé provoqués par ce scrutin qu'entre Europe et l'Afrique, existe une barrière grillagée de sept mètres de haut qui s'étire sur onze kilomètres et borde l'enclave espagnole de Melilla. Une barrière quasiment infranchissable (du moins théoriquement) balisée de caméras de surveillance qui tournent en non-stop: une barrière en barbelés entre deux continents si proches et pourtant si lointains, une barrière en acier qui ne suffit pas à décourager les assauts de clandestins prêts à tout pour fuir la misère en Afrique en se rendant dans l'eldorado européen.
Postés à l'aube dans un mirador, les éléments de la Garde civile espagnole scrutent le territoire marocain à travers leurs puissantes jumelles de vision nocturne, depuis la route éclairée par des réverbères qui court le long des trois épaisseurs de grillage, à la traque de la moindre embarcation de fortune ayant a son bord, les candidats à l'exil. En face, plongée dans les ténèbres de la nuit noire, se dessine la masse du mont Gurugu, où des centaines de migrants clandestins d'Afrique noire guettent le moment opportun pour s'évader de l'enfer de leur condition et fouler le sol de cette "terre promise" qu'est l'Europe, miroir aux alouettes. D'aucuns ne reculent devant rien et n'hésitent pas à franchir les grillages, pieds nus déchirés par les barbelés.
Ces assauts répétés sur la forteresse Europe mettent l'Espagne au défi de lutter contre l'immigration clandestine, à Melilla comme dans son autre enclave de Ceuta: deux micro-territoires au nord du Maroc, qui constituent les deux seules frontières terrestres entre l'Europe et le continent africain.
Depuis 2005, la frontière en forme de demi-cercle qui enserre cette ville de 80.000 habitants et 12 kilomètres carrés, plongeant à ses deux extrémités dans la Méditerranée, ne cesse d'être perfectionnée: elle a été renforcée d'un troisième grillage, surélevée, équipée de 48 caméras, de capteurs ultrasensibles, d'un maillage "anti-escalade" plus serré.
Après avoir traversé l'Afrique, ce n'est pas une barrière ne va pas arrêter les clandestins
Le grillage extérieur, le plus haut avec ses sept mètres, est inclinable dans sa partie supérieure. Malgré cela, les migrants déterminés qui ne reculent devant parviennent à l'escalader allègrement. Quoi d'étonnant à cela du reste ? Un clandestin ayant traversé toute l'Afrique, pendant des mois voire des années pour arriver à la frontière, devrait-il mettre un terme à son odyssée face à une simple barrière? Les barbelés peuvent-ils arrêter leur farouche détermination? Il faut être inconscient pour l'admettre quand on sait que le plus souvent sinon très souvent, il leur suffit de quelques secondes à une pour franchir ces triple grillages qui paraissent infranchissables de prime abord alors que pour ces jeunes en bonne santé, ce n'est qu'une promenade de santé même si dans les faits les drames ne sont jamais trop loin hélas.
Au total, la votation suisse a réveillé l'Europe de son sommeil dogmatique. L'Europe est sortie de ses égoïsmes nationaux pour rentrer malgré elle, l'espace d'un scrutin, dans la peau de ces milliers de femmes et ces milliers d'hommes, jeunes et moins jeunes, qui tentent de fuir la misère dans leur Afrique meurtrie par les guerres et la famine, pour rejoindre l'eldorado européen verrouillé à double tour par les serrures de l'égoïsme.
Puisse la votation suisse inviter l'Europe à une méditation sur la condition humaine en ces temps modernes où aucune loi ni aucune barrière grillagée ne pourrait entrer la libre circulation des humains. Car humains, nous sommes tous des humains.
"La pression migratoire s'est accrue depuis deux ans", témoigne Carlos Montero Diaz, le directeur, en évoquant le conflit au Mali et l'instabilité née des révolutions arabes.
"Ils sont jeunes, environ 22 ans. Leur but est de gagner n'importe quel pays d'Europe. Ils laissent leur famille dans leur pays, en espérant pouvoir leur envoyer de l'argent", raconte-t-il. "Avant, ils arrivaient à des moments de l'année bien définis, quand il faisait beau, mais plus maintenant".
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