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mardi 11 février 2014

Suisse : comment comprendre le vote anti-immigrés ?

Les électeurs de la confédération helvétique se sont prononcés dimanche 9 Février pour la       « fin de l'immigration de masse » à une courte majorité (50,3 %). Ce scrutin proposé par l'Union démocratique du centre (UDC), parti helvète appartenant à la droite populiste, visait à instaurer des quotas à l'immigration et renégocier la libre-circulation avec l'Union européenne. Ce pari, bien que gagné dans les urnes, risque fort bien de pourrir les relations de la Suisse avec ses voisins européens. Mais en réalité comment la Suisse en est-elle arrivée là? Pour tenter de décrypter les dessous de cette votation controversée, il convient de se poser les questions pertinentes susceptibles d'éclairer notre lanterne :

  • D'abord, pourquoi cette votation a-t-elle été organisée ?
A chaque votation suisse, les observateurs étrangers font l'éloge de cette méthode de consultation populaire propre à la confédération suisse et unique en son genre dans la démocratie directe. Trois principaux types de « votation » permettent ainsi aux citoyens suisses d'orienter la politique de la confédération helvétique :
  • le référendum obligatoire qui doit être organisé avant toute révision de la Constitution ou adhésion à une organisation supranationale ;
  • le référendum facultatif, qui peut être décidé par huit cantons sur vingt-six ou 50 000 citoyens dans les cent jours qui suivent l'adoption d'une norme, pour modifier ou retirer celle-ci ;
  • l'initiative populaire, qui permet à 100 000 citoyens réunis de proposer une modification de la loi ;
  • des scrutins peuvent également être organisés au niveau cantonal.
L'initiative populaire du 9 février dite « contre l'immigration de masse » doit son existence à l'Union démocratique du centre (UDC). Le parti de droite populiste s'est fait remarquer en 2007 pour avoir tapissé les murs d'affiches montrant un mouton noir expulsé violemment par des moutons blancs, lors d'une votation « pour le renvoi des étrangers criminels ».
Ce parti est celui qui, en 2009, avait fait adopter l'interdiction des minarets, dénoncés comme le « symbole apparent d'une revendication politico-religieuse du pouvoir ». En 2011, lors des dernières élections pour le Parlement, l'UDC avait recueilli 26,8 % des voix, en recul pour la première fois depuis vingt ans.
  • Ensuite que contenait le texte de cette votation contre l'immigration de masse ?
Le texte soumis au vote suggérait que la Suisse « gère de manière autonome l'immigration des étrangers ». Des « plafonds et contingents annuels » devront déterminer le nombre d'autorisations délivrées.
Ceux-ci seront fixés « en fonction des intérêts économiques globaux de la Suisse et dans le respect du principe de préférence nationale » et l'étude d'une demande d'autorisation de séjour prendra particulièrement en compte « la demande d'un employeur, la capacité d'intégration [du demandeur] et une source de revenus suffisante et autonome ». Enfin, « aucun traité international contraire (…) ne sera conclu ». C'est en ces termes que la proposition controversée aujourd'hui au sein de l'Union Européenne été libellée.
Ces propositions, il est vrai, remettent en cause les accords de libre-circulation, véritables principes sacro-saints au sein de l'Union européenne. Et ce n'est pas tout car ils remettent aussi en cause l'Association européenne de libre-échange (AELE), donnant aux citoyens des Etats membres de ces organisations un accès libre au marché du travail suisse. Ces accords devraient être renégociés. Seraient concernés par l'adoption de cette initiative tous les travailleurs étrangers vivant en Suisse, mais aussi leur famille, les travailleurs frontaliers qui résident à l'étranger mais exercent un emploi en Suisse, les réfugiés et les demandeurs d'asile.
Pour justifier sa proposition, l'UDC a concentré ses arguments sur la difficulté pour les infrastructures suisses de supporter la hausse de la population, affirmant que depuis 2007, tous les ans, « le nombre des immigrants a dépassé d'environ 80 000 celui des émigrants », un solde dénoncé comme trop important pour un pays qui ne compte que 8 millions d'habitants. « Chaque année, cet accroissement de la population requiert une surface d'habitat et d'infrastructures de la taille de 4 448 terrains de football », a argumenté le comité d'initiative, qui pointait du doigt la forte hausse des loyers et du prix des terrains. Le parti en a aussi profité pour dresser une liste complète des problèmes qu'il attribue à l'immigration : hausse du chômage, pression à la baisse sur les salaires, criminalité, « perte d'identité culturelle dans la conduite des entreprises », charge pour les assurances sociales, etc.
  • Après, quelles sont les instances qui s'opposaient à cette proposition ?
Plusieurs instances politiques suisses avaient rejeté ce texte avant son adoption par les électeurs. Ainsi, le Parlement suisse s'est très majoritairement prononcé contre ce texte sujet à controverses. Le Conseil national, qui représente la population suisse, à l'inverse du Conseil des Etats, qui représente les cantons, l'a rejetée par 140 voix contre 54 et 1 abstention. Le Conseil fédéral, gouvernement du pays, a lui aussi décidé de rejeter ce texte qui fait aujourd'hui l'objet de nombreuses critiques en Europe. Le président de la Confédération suisse, Didier Burkhalter, s'était exprimé pour affirmer que son pays avait « toujours été tributaire de la main-d'œuvre étrangère », qui contribuait d'ailleurs de manière positive aux comptes sociaux du pays.
« Cette initiative ne résout aucun problème. En revanche, elle en crée de nouveaux », insiste Didier Burkhalter, évoquant l'effort bureaucratique important qu'impliquerait une telle régulation étatique au cas par cas de l'immigration. En outre, selon le président suisse, celle-ci « pourrait mettre en péril » plusieurs accords bilatéraux conclus avec les pays européens. Les accords d'ouverture du marché seraient directement concernés, rendant plus difficiles les exportations suisses, alors que 56 % des produits du pays seraient aujourd'hui écoulés dans les pays de l'Union européenne.
Les milieux économiques sont aussi particulièrement remontés contre cette initiative. Début janvier, dans un communiqué, des organisations patronales ont fait part de leur inquiétude de voir « la pénurie de main-d'œuvre » s'aggraver et l'économie nationale être fragilisée. Dans un pays où seulement 3 % de la population active est au chômage, la libre-circulation « permet aux entreprises suisses de recruter en Europe la main-d'œuvre spécialisée dont elles ont besoin quand elles ne la trouvent pas en Suisse », explique le communiqué.
Une rupture imminente des accords bilatéraux est avancée si la Suisse devait en remettre en cause une partie : « L'UE s'est exprimée plusieurs fois sans détours sur les conséquences d'une résiliation de la libre-circulation des personnes », menacent les organisations patronales. Ces dernières citent par exemple l'accord sur les marchés publics qui permet aux entreprises suisses de participer aux appels d'offres publics dans les pays de l'Union européenne. Ce marché représenterait un volume de commandes total de 1 500 milliards de francs par an, soit 1 225 milliards d'euros.
  • Enfin, comment se déroule une votation ?
Les nombreuses votations suisses sont un casse-tête déjà bien rodé. L'aspect le plus notable du processus est l'absence de déplacement obligatoire des électeurs dans un bureau de vote en un jour unique. Chaque citoyen reçoit en effet un « kit de vote » au plus tard trois semaines avant le scrutin avec de nombreuses informations sur les questions auxquelles l'électeur est appelé à se prononcer, plusieurs votations étant habituellement regroupées. L'ensemble est traduit en allemand, français ou italien selon les langues parlées dans le canton. Les points de vue opposés y sont scrupuleusement exposés afin d'aider l'électeur à se faireune opinion et une enveloppe spécifique est mise à disposition pour renvoyer oualler déposer le bulletin, une fois les choix cochés. L'électeur indécis peut aussilaisser blanc son bulletin, ceux-ci étant comptabilisés en Suisse.
Par ailleurs, la Suisse s'essaie depuis plusieurs années au vote électronique, en premier lieu pour ses citoyens vivant à l'étranger. Selon le site Swiss Info, « plus de 5,15 millions de citoyens suisses sont inscrits dans les registres électoraux, dont environ 150 000 résidents à l'étranger ». Lors de la votation populaire du 9 février, 167 000 citoyens devaient pouvoir voter en ligne, dont 71 000 Suisses de l'étranger.

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