De François Mitterrand à François Hollande, le Président camerounais a eu des relations plus ou moins tourmentées avec ses homologues français.
Paul Biya est à son quatrième Président français
Le Chef de l'Etat camerounais jouit d'un rare privilège: il est l’un des rares Présidents au monde à avoir vu passer trois Chefs d'Etat français. François Mitterrand, de 1981 à 1995 ; Jacques Chirac, de 1995 2007; Nicolas Sarkozy de 2007 à 2012. Il est à son quatrième Président français avec François Hollande, qui est aux affaires depuis mai 2012. En Afrique, Paul Biya jouit de ce privilège avec Robert Mugabe du Zimbabwe au pouvoir depuis 1980, précédé par Jose Eduardo Dos Santos d'Angola (1979); Teodoro Obiang Nguema Mbatsogo de Guinée Equatoriale (1979). Blaise Compaoré du Burkina Faso qui est aux affaires depuis 1987 et fait partie de cette famille restreinte. Tout comme Denis Sassou Nguesso, Chef de l'Etat congolais de 1979 à 1992, et de 1997 à nos jours.
Mitterrand-Biya: une relation presque familiale
Quand le socialiste François Mitterrand arrive au pouvoir en mai 1981, Paul Biya est encore le Premier Ministre du Président Ahmadou Ahidjo. Les relations personnelles entre Biya et François Mitterrand ne sont pas mauvaises. L'un des deux enfants du Président français, Jean-Christophe, surnommé «Papa m'a dit» est vite adopté par le Président camerounais au point de devenir quasiment un membre de sa famille. C'est un habitué de Mvomeka'a, village de Paul Biya où il s'y rend régulièrement. Jean-Christophe Mitterrand ne se rendait plus au Palais de l'Unité après l’atterrissage de son avion à l'Aéroport de Yaoundé-Nsimalen. Une fois arrivé, un véhicule l'attendait qui l'emmenait directement à Mvomeka'a. Paul Biya accuse le coup quand au sommet de La Baule (France-Afrique) en France en 1990, François Mitterrand conditionne l'aide de son pays aux Etats africains qui vont désormais respecter les droits de l'homme et ouvrir leurs pays à la démocratie et au multipartisme. Il se sent visé comme les autres Chefs d'Etat d'Afrique noire francophone, tels que Etienne Eyadema du Togo, Houphouët Boigny de Côte d'Ivoire, Mathieu Kérékou du Bénin, Denis Sassou Nguesso du Congo Brazzaville, etc. Paul Biya va instaurer le multipartisme, mais ce n'est qu'un trompe-l’œil, car l'homme continue à vivre dans la mentalité du parti unique.
Pour montrer qu'il est en phase avec son maître François Mitterrand, Paul Biya va prononcer une de ces phrases qui va le rendre ridicule: «Je suis le meilleur élève de François Mitterrand...». Que s'était-il passé pour que Paul Biya, Chef d'un Etat souverain se déclare être l'élève d'un autre Chef d'Etat, fût-il le Président d'une ex-puissance coloniale? Paul Biya craignait-il d'être renversé ou plutôt remplacé à la tête de l'Etat camerounais par son homologue français dont il avait une peur bleue? Lui seul peut nous le dire. Même si les relations étaient bonnes entre les deux Chefs d'Etat, cela n'excluait pas la méfiance entre les deux hommes. Et pour éviter toute surprise désagréable, Paul Biya s'était constitué un solide réseau d'amis autour du premier cercle de François Mitterrand tel Guy Penne qu'on voyait de temps à autre à Yaoundé. Il faut dire ici que c'est sous François Mitterrand que la Françafrique a pris des proportions gigantesques, est devenue une hydre incontrôlable. Surprenant tout de même sous un régime de gauche!
Chirac-Biya: des gens de la même génération 1995
François Mitterrand achève 14 ans de règne. La droite a deux candidats qui émergent pour la présidentielle: Jacques Chirac et Edouard Balladur. Paul Biya va soutenir Edouard Balladur (Balladurian) qui est un Français d'origine arménienne, né en 1929 à Izmir en Turquie. Tout comme Nicolas Sarkozy (on comprend pourquoi Jacques Chirac nourrissait et nourrit encore une rancune tenace contre son successeur à la tête de l'Etat français). Jacques Chirac devient Chef de l'Etat français et n'a pas oublié que Paul Biya ne l'avait pas soutenu. Il faudra beaucoup de temps pour que Biya se réconcilie avec lui, car Chirac, on le sait, est très rancunier. Les deux hommes sont de la même génération, Jacques est né en 1932 et Paul en 1933
Pour éviter des mauvais coups venant de Chirac, Paul Biya va également tisser un réseau d'amis autour du Chef de l'Etat français dont Alain Juppé, qui a été l'un des premiers ministres de Chirac. Invité à Yaoundé par Paul Biya, Jacques Chirac est très admiratif du Palais de l'Unité, il manque même de tomber. En effet, le Chef de l'Etat français, qui visitait le Palais de l'Unité à Etoudi pour la première fois, était tellement occupé par le bel ouvrage qu'il ne contrôlait plus où il posait les pieds sur le perron du palais et la catastrophe avait failli arriver. Jacques Chirac était resté paternaliste avec Paul Biya, comme avec les autres Chefs d'Etat d'Afrique noire francophone qu'il considérait comme ses enfants et même ses sujets comme à l'époque coloniale. C'est un homme chaleureux qui aimait donner l'accolade à ses pairs africains, il n'a pas la réserve et la froideur d'un certain François Mitterrand.
Sarkozy-Biya: des relations pas du tout bonnes
Il y a lieu de distinguer les relations d'Etat à Etat et les relations personnelles des hommes à la tête de ces Etats, Ainsi quand Nicolas Sarkozy invite Paul Biya à effectuer une visite en France en novembre 2007 et en juillet 2009, cela ne veut pas dire que les deux hommes s'entendent, c'est tout juste dans le cadre des relations bilatérales que deux Etats peuvent entretenir. On sait aujourd'hui le contentieux qui a empêché Nicolas Sarkozy d'avoir de bons rapports avec Paul Biya: c'est que ce dernier n'a pas financé sa campagne présidentielle en 2007 comme c'est de coutume, de tradition pour les Chefs d'Etat africains des pays jadis colonisés par la France. Pour résumer: en 2007, Paul Biya dépêche les Ministres Polycarpe Abah Abah, Urbain Olanguena Awono et Jean-Marie Atangana Mebara de porter deux valises d'argent à Nicolas Sarkozy de la droite et à Ségolène Royal, candidate socialiste à l'élection présidentielle, Olanguena Awono n'aurait pas remis la mallette à Ségolène Royal. Celle de Nicolas Sarkozy lui est remise, on lui dit que ce n'est pas Paul Biya qui a envoyé l'argent mais que c'est le fruit de la cotisation des trois ministres. Sarkozy s'ouvre à Omar Bongo Ondimba du Gabon qui envoie Ali Bongo son fils de venir dire à Biya qu'il est en danger de mort. Paul Biya se rend au Gabon et Bongo père lui raconte toute l’affaire. Quand il rentre à Yaoundé, on connaît la suite: Olanguena, Abah Abah et Atangana Mebara sont en prison aujourd'hui dans le cadre de l'Opération Epervier.
Pensant donc que Paul Biya ne lui a pas envoyé de l'argent pour financer sa campagne présidentielle, Nicolas Sarkozy décide de ne pas mettre les pieds au Cameroun, ce qu'il a fait durant son mandat de cinq ans à la tête de l'Etat français.
Quand, répondant à une question du journaliste français Ulysse Gosset de France 24, au sortir de son tête-à-tête, du mardi 30 octobre 2007 avec Nicolas Sarkozy, Paul Biya déclarera sur le perron de l'Elysée: «J'ai invité le Président de la République à effectuer une visite au Cameroun, il a accepté immédiatement et avec joie», il ne savait pas qu'il avait affaire à un homme à la langue fourchue comme un serpent. La preuve: Sarkozy n'est jamais venu au Cameroun. C'est un grand rancunier. Pourtant, Sarkozy demandait des services à Paul Biya qui acceptait de l'aider de tout son cœur. Quand Omar Bongo Ondimba décède en 2009, Sarkozy demande à Paul Biya de mettre de l'ordre dans la famille du défunt Président. Pascaline, la fille aînée du Président Bongo et son compagnon Paul Toungui lorgnent comme caciques du PDG, parti au pouvoir, le fauteuil présidentiel.
Paul Biya va réussir à convaincre Pascaline de laisser son petit- frère Ali Bongo succéder à leur père. Paul Biya va également s'assurer avec les Français bien sûr en prenant certaines dispositions qu'Ali Bongo Ondimba sera vainqueur à l'issue du scrutin du 30 août 2009. Comme récompense, Paul Biya sera invité en France, du 21 au 24 juillet 2009. Visite au cours de laquelle Nicolas Sarkozy lui demandera d'assurer le leadership en CEMAC (Communauté Economique et Monétaire d’Afrique Centrale) après la disparition d'Omar Bongo Ondimba. Paul Biya répondra: «Le Président du Cameroun que je suis est disponible».
Hollande-Biya: le climat se détériore
Quand Hollande devient le Chef de l'Etat français en mai 2012, certains Chefs d'Etat africains, le Nigérien et le Sénégalais sont très vite reçus par leur homologue français, point de Paul Biya à l'horizon. Ce n'est qu' 2013, soit près d'un an après l'arrivée de Hollande au pouvoir que Paul Biya est invité en France. Paul Biya a cru que son implication personnelle dans la libération de la famille Moulin-Fournier prise en otage dans la Région de l'Extrême-Nord allait le rapprocher de son pair français. Peine perdue! Car François Hollande vient de déclarer dans certains médias français que la détention du franco-camerounais Michel Thierry Atangana (MTA) est «inadmissible», lui qui croupit dans les geôles du Secrétariat d'Etat à la Défense (SED) depuis 1997, dans le cadre d'un détournement des deniers publics. Demander à Paul Biya de libérer Michel Thierry Atangana, son prisonnier, est une pilule très difficile à avaler pour le numéro un camerounais. C'est un ordre qu'on lui donne, lui qui a toujours été habitué à en donner. Si Paul Biya était un boxeur, il serait un gros encaisseur. Ce qu'il a toujours fait depuis qu'il est là dans ses relations avec ses homologues français depuis Mitterrand, qui lui ont déjà fait voir de toutes les couleurs, lui ont fait avaler des couleuvres. Si Paul Biya était un footballeur, il serait un grand dribbleur comme Roger Milla, puisqu'il est toujours en place depuis 31 ans. Il saurait faire le dos rond par périodes de grosses tempêtes et redresser le torse quand la situation redevient calme. Saura-t-il dribbler François Hollande? Let's, wait and see!
© Michel Michaut Moussala | Aurore Plus
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